Floriane Brement

Floriane Brement

Quelques textes


L'envolée (Création réalisée dans le cadre du Prix 72h, organisé par Short Édition)

L’envolée

 

Tout a commencé par une séparation brutale et déchirante. Douloureuse. J’ai vu ma moitié se faire broyer puis jeter comme si elle n’était rien. Une partie de moi voulut hurler son désespoir, tandis qu’une autre, mue par l’instinct de survie, fut soulagée d’être toujours en vie. Je frémis encore face à cette barbarie.
Je me suis échappé. Littéralement envolé. J’ai pris un bol d’air, c’est le cas de le dire ! Je ne pensais pas que cela serait possible. Mon existence avait un but précis, mais pas celui-là. Pourtant grâce à une bourrasque, j’ai découvert la liberté. Enfin, si l’on veut. Cela a un prix. Je suis maintenant le jouet des éléments : incapable de piloter, je crois et je décrois au gré de son humeur. Je m’élève tantôt au-dessus de ce bâtiment ovale, bruyant et hostile à mon égard, tantôt je redescends si près de cet ennemi gigantesque et sans pitié, qui a déjà détruit ma moitié. Ce n’est pas le meurtrier, certes, mais il est de la même espèce sanguinaire et néfaste. Ma peur suit ascensions et descentes, je commence à avoir le tournis d’ailleurs... L’expérience pourrait être amusante, si ma survie ne dépendait pas de ce manège incessant. Ma fuite est passée inaperçue, mais je ne veux pas être repris ni subir le même sort que...

La chance me sourit. Le vent met un coup d’accélérateur. L’air se déchaîne si bien que je fais une montée fulgurante et m'entraîne loin de cet endroit si dangereux. Tandis que le vacarme diminue et que l’antre de la mort rétrécit, l’adrénaline m’envahit. Je suis happé par l’aventure. Je goûte à cette liberté retrouvée. J’ignore où cette épopée va me mener, mais je me dis que cela ne pourra pas être pire que le lieu que je viens de quitter.

J’atterris enfin. La météo s’est calmée. Le sol est dur et froid. Nauséabond. Où suis-je ? Je ne reconnais pas. Il faut que j’analyse la situation. Je suis perdu, immobile... mais libre. C’est la seule chose qui compte pour moi en ce moment. Libre. Je me le répète comme un baume...

Ciel ! Je crois que j’ai parlé trop vite ! Des ennemis arrivent. Je pourrais reconnaître leur taille de géant entre mille, leur épaisseur si particulière, leur manque de grâce, tout ! M’ont-ils suivi ? L’effroi me tétanise. J’essaie de me faire le plus petit possible. Ils vont me reprendre, c’est sûr... mais ils passent à côté de moi sans même m’accorder un regard. J’ai eu chaud ! La peur est de retour. Ils sont partout ! Je ne suis pas en sécurité. Le risque d’être repris est trop grand ! Je dois m’en aller. Je veux m’échapper encore, partir plus vite, plus loin... sauf que je n’arrive plus à décoller. Comment faire ? J’en viens à me dire que la première fois n’était qu’une erreur...
Ciel ! Qu’est-ce que je l’aime ! Il me le rend bien, car il envoie une bise à mon secours. Ce n’est pas le décollage du siècle, je ne m’élève pas aussi haut que lors de ma précédente tentative, mais l’air me guide une fois de plus. Il me permet d’avancer au ras-terre, aléatoirement. Qu’importe. Je me fiche du chemin, je suis en mouvement, et c’est la meilleure façon de rester vivant. Oui, en mouvement ! Encore...
CLAC !

Sans que je comprenne ce qui se passe, je percute de plein fouet un monstre de métal, qui me plaque au sol. Je glisse sous lui avant d’être éjecté violemment au loin. La douleur me désarçonne. Je ne suis plus que souffrance... mais mon calvaire est loin d’être terminé. Mon corps frêle et souple se coince sous un de mes ennemis, qui, comble de l’ironie, ne semble même pas se soucier de ma présence. Il va tuer en me piétinant sans même s’en rendre compte. Au moins, ma moitié a eu le droit d’être considérée au moment de sa mort... Il m’emmène à grandes foulées, et je manque d’avoir la nausée. Ce manège m’amuse beaucoup moins que le premier.

Sous les impacts de ce pied dynamique, je sens le sol qui se transforme. Il n’est plus aussi dur qu’avant, il s’est ramolli et il est salissant. On a changé de milieu, même si je m’en préoccupe assez peu. Je veux qu’on me laisse tranquille.

-      Beurk ! C’est dégoûtant ! crie l’ennemi.

Il a remarqué ma présence ! Peste ! Il me dégage d’un mouvement brusque et je bascule dans le vide. J’ignorais même qu’on avait atteint un espace élevé. Ma chute est lente, j’ai le temps d’avoir peur, de me demander ce qui va encore m’arriver... J’en suis presque à regretter ma première prison...

GLOUPS !

C’est fr... Gloups ! froid ! Que se passe-t-il cette fois-ci ? Je n’arrive pas à g... gloups ! mon corps hors... gloups ! de quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Je vais vite ! Gloups ! Tellement vite ! Gloups ! Ce que je s... gloups ! sais... gloups ! c’est que ça va me tuer !

On m’arrache de cet enfer ! Soulagement ! Je ne vois pas qui m’a sauvé. En fait, je ne vois plus rien, je suis flasque et je pèse une tonne.

-      Non, mais j’vous jure, les gens sont des porcs ! Ils jettent n’importe quoi dans l’eau ! crie-t-on. Comme si la planète n’était pas assez polluée !

-      Qu’est-ce que c’est ? Tu sais d’où ça vient ?

Ciel ! Je suis entre les mains d’humains... Merveilleux, je leur ai échappé, enduré mille souffrances pour finalement les retrouver. Il me tourne dans tous les sens en m’examinant. Il cherche à m’identifier. Je crois qu’il y parvient, car il déclara :

-      Il vient du stade de foot. Je comprends mieux. Les supporters en déchirent des tonnes et les jettent. C’est qu’il en a fait du chemin le petit.

-      Mets-moi ça dans le feu, grogne le deuxième

Le quoi ? Qu’est-ce que ça encore ? Cela va faire mal ? J’ai tout juste le temps de voir une once rouge qui danse, et...

 

C’est ainsi que s’achève l’extraordinaire envolée de notre morceau de papier.

 

 

Création réalisée dans le cadre du Prix 72h, organisé par Short Édition


04/05/2020
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Vingt-sept déclarés

Vingt-sept déclarés

 

            Les couloirs sont sombres et venteux en plus d’être étroits et diaboliquement sinueux. Les courants d’air incessants leur offrent en prime une température glaciale. Le rêve… mais c’est mon poste, mon lieu de travail, ma vie, je pourrais dire. Je veille à ce que la Maison tourne bien alors je passe mon temps ici et je prends soin de nos vingt-sept locataires. Mon préféré c’est celui du douze, toujours drôle et souriant. À croire qu’il ne sait pas faire la tête. Au début, les grincements et les sifflements imprévisibles m’effrayaient mais ce n’est presque plus le cas. Je me suis habituée à la sinuosité quasi perpétuelle du couloir et au fait de ne jamais retrouver mon chemin.

          Une lumière m’éblouit tout à coup tel un phare avant de disparaître aussitôt. La fulgurance du rayon m’a percuté comme un éclair. Ébloui, je suis complètement déboussolé si bien que je m’appuie contre la paroi réconfortante du mur pour me stabiliser. La dureté d’une porte me désarçonne. Je me retourne pour découvrir une poignée noire et ronde de la taille d’une orange. Je reste pantois car cette porte n’est semblable à aucune des vingt-sept que je surveille continuellement. En plus elle n’a aucun numéro ; je suis donc sûre qu’elle n’est pas l’une du cercle. Je la contemple : elle est grande, rectangulaire et couverte de glyphes que je ne saurais reconnaître. J’ai parcouru ce couloir des milliers de fois et je peux jurer que je ne l’ai jamais vue. La peur s’insinue en moi à mesure que la réalité de la situation s’impose en moi. Cette porte n’a rien à faire ici. Vingt-sept. Il n’y a que vingt-sept portes ici et je connais les vingt-sept occupants. Non, celle-ci est en trop. Prudemment, je colle mon oreille contre l’embrasure et ferme les yeux pour me concentrer. Un murmure étouffé me parvient. Il y a quelqu’un à l’intérieur. C’est officiel, nous avons un clandestin. La panique s’immisce en moi. Qu’est-ce que cette Porte ? Qui se cache derrière elle ? Mon cœur s’emballe et je cours à perdre haleine pour appeler à l’aide. Je tourne à droite, à gauche puis encore à gauche. Je ne devrai plus tarder d’atteindre la sortie...

 

                 Je m’arrête, essoufflé puis lève les yeux pour me repérer. La Porte est là. Me suis-je perdu ? M’a-t-elle poursuivi ? La voix chuchote encore. Elle est enfermée et elle veut sortir. Dois-je lui ouvrir ? Et si c’était un piège ? Quel monstre pourrait surgir ? Oui mais… si c’était une victime ? Un prisonnier ? Le doute s’installe en moi. Je me colle contre la porte. Elle est à la fois douce et rugueuse, chaude et froide. Mes sens sont en alerte devant ces données contradictoires. Je crie à l’attention de la créature de l’autre côté. Je lui demande de se présenter. Aucune réponse mais je sens qu’elle s’agite. Ma présence l’excite. La porte se met à trembler. Je recule, terrorisé, et me presse contre le mur d’en face. Je ferme les yeux. Je le sens derrière moi. Je crie de peur et de surprise. Je ne sais plus quoi faire. La Porte est un monstre. Elle va m’engloutir et me livrer à son occupant. Je vais disparaître, englouti par une porte au détour d’un couloir lugubre. Tu parles d’une fin...

 

 

            La Porte tremble. Elle vibre. Elle me dit « ouvre-moi ». Je ne veux pas mais je sais que je ne pourrais jamais lui échapper. Elle me dit « libère-moi ». J’ai peur. Je suis terrifié. Les vents me soulèvent mais je ne m’envole pas vers une autre porte que je connais mieux. Non, ils me poussent davantage contre Celle-ci, terrifiante par le mystère qu’elle dégage. Derrière, ça s’agite. Il faut que ça sorte. Ça sortira tôt ou tard. Je ne peux rien faire contre ça.

             Je ferme les yeux et saisis la poignée. Je peux encore faire demi tour. Non c’est faux. Je ne peux pas. En plus maintenant, je désire savoir. Il faut que je sache qui est la Créature derrière. J’inspire profondément et tourne la poignée.

La Porte s’ouvre. 

              En face de moi, un visage qui se forme et se déforme. Je ne peux le capter précisément. Je crois qu’il peut être bon et dangereux. Il s’écarte et me montre son domaine. Il est plus vaste que les vingt-sept autres. Sous ses pieds débutent un chemin qui s’ouvre une infinité d’autres qui mènent tous à d’autres portes. Des portes et encore des portes. Sa Porte en a ouvert mille possibles. Toutes belles et effrayantes. Le locataire me chuchote son nom. J’acquiesce et me retire mais je ne referme pas derrière moi.

               Je m’appelle Conscience et aujourd’hui j’ai accueilli un nouvel habitant dans la Maison Âme. Son nom ?

               Imagination.

 


27/03/2017
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